La peste de Marseille en 1720 de Michel Serre.
Pas un chat ! se dit on en arpentant les ruelles du Castellet depuis le confinement. Mais l'expression témoigne mal de la réalité. Les félidés restent les seuls êtres vivants encore visibles. Allongés souverainement au milieu des voies, ennuyés par la moindre apparition humaine, ils semblent dorénavant être les propriétaires inamovibles des lieux.
Faut-il remonter à la pandémie de 1720 pour contempler aux premiers jours du printemps des rues aussi désertes ? Pour se lamenter devant la litanie de devantures closes ? Chercher en vain une auberge ouverte pour un gobelet de Bandol ?
Certes, quelques journées de mistral glacial au coeur de l'hiver ont peu ou prou le même effet qu'un Covid 19, mais de mémoire de chat, un tel vent de liberté n'a pas soufflé sur les pavés depuis 300 ans.
Le Castellet confiné en 2020
En ces temps funestes, le tristement célèbre navire marchand "le Grand Saint Antoine " accostait à Marseille. L'histoire est connue: il livra avec ses étoffes un passager clandestin, le Yersinia pestis, et déclencha la dernière grande épidémie de peste en France. Toute la Provence fut touchée et vit un tiers de sa population disparaître. Il est à parier que le village du Castellet, comme bien d'autres à l'époque, offrit le même état de pétrification qu'aujourd'hui. Et pour cause !
Malgré trois siècles de rapides sinon exponentiels progrès technologiques, force est de constater que les armes restent désespérément les mêmes lorsqu'il s'agit de combattre l'ennemi viral.
Déjà on confinait les zones pestiférées. Les habitants
avaient interdiction de sortir et de communiquer entre eux. On prohibait le travail des champs plongeant un peu plus le peuple dans la misère. On organisait des barrages de police et la surveillance des chemins; On escortait les voyageurs que l'on plaçait en quarantaine (40 longs jours et non 14); On inventait déjà les attestations de déplacement dérogatoire sous
la forme de certificats de bonne Certificat de bonne santé
santé ou de laissez passer délivrés
spécialement pour les travaux indispensables (les vendanges).
Aux grands maux… les mêmes remèdes archaïques donc, nous rappelant brutalement que l'ère digitale ne nous soustrait en rien à notre condition de mammifère. Seules avancées notables, la disparition des saignées et autres concoctions à l'urine. C'est peu !
Tout aussi remarquable est la persistance des comportements et l'étrange constat que la nature humaine reste insensible au passage des siècles. C'est déjà au nom d'impératifs économiques de quelques-uns que la pandémie de 1720 se déclarait après que les marchands pressés de revendre au plus vite leur cargaison eurent contourné les barrières sanitaires. Déjà les bourgeois des villes fuyaient l'épidémie vers leurs bastides de campagne tandis que les infortunés restaient entassés en ville, contraints à la solidarité ou au pillage. On s'entichait déjà de remèdes miracles comme les baumes du Grand Albert faisant écho à la chloroquine du grand Raoult ! Tout comme aujourd'hui, les petites mains du monde médical, les dames de la charité, devenaient les héroïnes d'un monde abandonné à l'impéritie de ses élites.
Plus troublant encore, les superstitions religieuses restent tout aussi vivaces ! Les processions de flagellants ont certes disparu, de même que l'archevêque d'Aix n'appelle plus au jeûne pour apaiser la colère de Dieu. Mais pour beaucoup encore la foi est plus forte que le virus. Tels ces fidèles qui se regroupent en catimini pour assister à des offices (en latin). Ou comme ce pasteur, qui, dans son église bondée, annonce haut et fort que Dieu épargnera les croyants de Satan et du virus, avant de mourir benoîtement du Covid 19 !
Il est difficile de savoir si le Castellet abritait déjà des artistes en 1720. Mais si tel fut le cas il est fort à parier, qu'à l'instar de leurs lointains descendants, ils se soient confinés dans leurs ateliers, travaillant leur art, en attendant le retour de jours meilleurs ! Et qu'ils aient laissé les chats du village tout à l'heure langueur...
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